Dans le cadre des Journées Européennes des Métiers d’Art, Bonjour Pantin est parti à la rencontre des Compagnons du Devoir et de leur Pôle d’Excellence des Matériaux Souples.
Installé au 22 rue des Grilles, dans ce bâtiment à l’impressionnante façade de bois rénové il y a deux ans, le Pôle d’Excellence des Métiers peut accueillir jusqu’à 150 étudiants dans cette nouvelle structure.
Organisée par l’INMA (Institut National des Métiers d’Art) le thème de l’année de ces journées est « savoir(-)faire du lien ». Et c’est d’ailleurs beaucoup de liens dont va nous parler Grégoire Talon, designer et directeur du Pôle d’Excellence des Matériaux Souples, généreux et enthousiaste guide de cette petite exposition, « 4 projets issus du dialogue entre les cultures et les métiers ». Pour illustrer ce dialogue, Grégoire nous présente Pentaxylo, une lampe en bois massif qu’il a designé et dont le développement et le prototypage ont été faits par Benoît Thevenin, Alexandre Vasquez et Clément Chen, tous trois menuisiers et formateurs. Grégoire nous explique que cette pièce a été entièrement réalisée à l’aide d’une fraiseuse 5 axes, deux de ses axes permettent de tourner autour de la pièce et à l’intérieur. Prouesse de la technologie mais aussi du métier de menuisier que de réussir à courber le bois et le rendre parfaitement rond. Alors que la fraiseuse à 5 axes est utilisée depuis longtemps chez les mécaniciens par exemple, elle est arrivée tardivement dans les ateliers de menuisiers, la rencontre technologie-artisan n’étant pas évidente. Il faut autant apprivoiser la matière que l’artisan qui ne connaît pas l’ingénierie et tester la machine qui ne connaît pas la matière.
L’arrivée de cette technologie apporte un atout considérable, il permet non seulement d’accomplir un travail auparavant manuel en beaucoup moins de temps, ce qui permet de rester compétitif par rapport aux demandes croissantes, mais elle apporte et permet aussi un raffinement dans le travail inédit. Bien que l’exposition soit sur le lien et le travail qui peut unir l’artisan et le créateur, Grégoire évoque aussi beaucoup le lien de la rencontre entre l’ingénieur et l’artisan menuisier. Apprendre ce que peut la machine d’un côté et découvrir ce que peut ou non la matière de l’autre. Sur la lampe par exemple, en son pied, l’artisan a pu tout de suite réaliser la courbe avec excellence car il connaît et « respecte la logique naturelle de la matière » et peut donc obtenir un collage qui respecte le sens du bois. Quand on s’approche on voit à peine, voire pas, le collage, on dirait du bois souple, modelé comme du caoutchouc. Et « bien comprendre la matière ainsi que le chemin de l’outil, c’est avoir la compétence du métier ». Grégoire évoque alors l’objection de certains menuisiers qui peuvent considérer que l’entrée de la technologie peut être facteur de perte d’un certain savoir. Lui pense au contraire que l’arrivée de cette technologie permet de développer de nouvelles techniques de travail et, notamment, de rentrer dans des réalisations uniques. Ainsi cette technologie permettrait de créer et d’innover.
Mais dans l’ensemble, beaucoup sont curieux d’intégrer des nouvelles technologies dans leur artisanat et de fait ce Pôle d’Excellence développe beaucoup de partenariats avec des artisans spécialisés, jusqu’au Japon, pour échanger les savoirs, tester, chercher, innover. Ici encore, du lien.
Le dialogue chez les compagnons est l’essence de l’échange, et ils n’imagineraient pas faire autrement que s’ouvrir au monde, établir des relations, créer des liens, échanger, former, et ce partout dans le monde. Plus près d’ici aussi, le pôle travaille beaucoup avec les grandes écoles de créations tel l’ENSCI (École Nationale Supérieur de Création Industrielle), l’IFM (Institut Français de la Mode) ou encore les Arts Déco. Tous ces partenariats illustrent effectivement une grande volonté d’ouverture et de dialogue. Mais pas seulement. Un des grands enjeux est aussi de pouvoir susciter des vocations. L’aspect manuel a peut-être été trop retiré des circuits scolaires et, des personnes qui semblerait être en difficulté scolaire dans le parcours « classique », ou qui ont décroché, peuvent trouver dans ces métiers un épanouissement aussi bien manuel, qu’intellectuel. Car contrairement à ce qu’on a pu longtemps croire ces métiers ne demandent pas qu’une habilité de la main, de l’intelligence de la main comme on l’a beaucoup dit. Pour autant, aucune compétence particulière n’est requise pour pouvoir intégrer ces formations et le seul critère de sélection est l’âge, entre 15 et 22 ans (il y a des formations payées ouvertes aux adultes également sous la forme du DIF, Fongecif…).
De plus en plus, pour susciter des vocations et créer des liens, le pôle se déplace dans les écoles primaires, collèges et lycées pour sensibiliser à ces métiers et initier un rapport à la création dès le plus jeune âge. Savoir que l’on peut soi-même créer un objet de toutes pièces de ses propres mains fascine les petits qui n’en avait pas forcément conscience. Nous avons pu admirer certaines de ces œuvres réalisées lors d’un de ces stages dans un cadre initié par Est Ensemble. La thématique de ce stage était « l’ennoblissement textile »» et il se déroulait lors de 3h de cours additionnels aux cours généraux par semaine pendant 3 mois. Vous pourrez découvrir leurs réalisations également dans cette exposition, réalisations lumineuses, maîtrisées, joyeuses et colorées. Une des animatrices de ces stages nous parle d’une oeuvre en particulier qui l’a beaucoup touchée car elle a été réalisée par un jeune adolescent arrivé récemment en France, parlant très peu français et qui avait donc du mal à communiquer et à s’épanouir. Dans cet atelier il s’est découvert des capacités insoupçonnées et, au-delà du langage, a pu accompagner et aider certains de ses camarades dans leur réalisation. Très fier de son œuvre, cet atelier lui a permis de s’ouvrir bien plus qu’avant, de croire en lui-même et d’avoir moins peur d’aller vers ses camarades.